Hasan Yıldırım, violoniste

Printemps 2001

Hasan était, jusqu’en janvier 2007 où il s’est éteint, le dernier violoniste venu du “vieux monde”, celui de la société pastorale d’interconnaissance… Il avait fait équipe avec Hayri toute sa vie, dans les fêtes de mariage, et jouait avec raffinement et douceur : tout en lui était raffiné, presque précieux, y compris son parler, et il contrastait fortement avec son homologue Akkulak, au jeu impétueux, et à l’allure de rude montagnard…
Hasan avait eu une vie tumultueuse : plusieurs compagnes successives, — dont la première était célèbre pour sa grande beauté, et très courtisée par les jeunes gens des alentours… C’est lui qui avait pu l’enlever, avec son consentement bien sûr, mais non celui de ses parents, ce qui lui valut six mois d’emprisonnement parce qu’elle était mineure ; après quoi, il l’avait épousée, mais elle allait n’être qu’un des épisodes de sa vie sentimentale. Il aimait montrer des photos de sa jeunesse : moto, lunettes noires… Vieillard, il était un homme frêle et discret, sans doute légèrement dépressif.
Quand il jouait, Hasan avait toujours l’air triste et méditatif, et la sonorité de son violon se fondait avec douceur dans celle du bağlama de son compagnon Hayri.

Son violon est accordé (en hauteurs relatives) : Sol (grave, corde filée de saz)-La-Ré.

Düdük : Hasan, Ali son frère et Hayri

Hayri sort de sa poche intérieure son “gizli düdük” “flûtiau secret”, fait d’un corps de roseau à six trous, et d’une embouchure en écorce de pin (sarı çam, pinus brutia) évidée, dont l’extrémité est resserrée de façon à constituer une anche double. Ce petit hautbois se fabrique au printemps, pendant que chante le coucou, et que la sève abondante permet aisément de détacher le tube d’écorce du bois qu’il renferme. Le gizli düdük est appelé ainsi en raison de sa discrétion : “tu en joues derrière la forêt, et derrière l’autre forêt on ne l’entend pas” (voirle film « Derrière la Forêt »).

Mehmet Şakır “Akkulak”

Akkulak sur le seuil de sa maison avec ses voisins, nov 1992

A une vingtaine de kilomètres du village de Hayri se trouve Hisar, non loin du fleuve Dalaman (localement, Gireniz). Là, dans une nature de garrigues où la vie pastorale s’est perpétuée à cause d’un climat protégé, vivait Akkulak, violoniste admirable qui jouait dans les mariages de la région : jusqu’à 50 noces par an, disait-il ! Mehmet Şakır était surnommé “Ak-kulak” “oreilles blanches” à cause de ses cheveux clairs. Cet homme maigre, d’une force physique impressionnante (il fallait le voir, à l’âge de 75 ans, préparer le bois de chauffage avec sa cognée !), était à l’image du paysage où il vivait : plutôt austère, rude. A la différence de Hayri, Hasan et ses confrères musiciens de Çameli, il ne se permettait aucun écart par rapport aux normes de l’islam, faisait consciencieusement ses cinq prières, ne buvait jamais… Mais tout cela n’était qu’une apparence de rudesse et de sobriété, car comme on disait dans le voisinage, quand il jouait son violon, dans les fêtes de mariage où le rakı est copieusement dispensé il semblait plus ivre, disait-on, que ses confrères qui avaient bu… Mehmet était un grand botaniste, passionné par les arbres de ses montagnes, où il aimait m’entraîner dans des marches d’une journée entière. Mehmet “Akkulak” fut le dernier berger de son lignage : quand je l’ai connu, en 1992, il était riche d’une centaine de chèvres. Son fils préféra se consacrer à l’agriculture, vendant le troupeau pour acheter des terres… Akkulak s’est éteint le 29 avril 2004.

L’explication du chant de gorge (extrait de Derrière la Forêt)

Akkulak a été avec Hayri Dev le grand protagoniste du film Derrière la Forêt, auquel il a participé avec entrain, comme on le voit ici expliquant ce quasi-mythique boğaz, chant de gorge des jeunes filles de jadis, et l’émoi amoureux qu’il provoquait.
Son violon est accordé (hauteurs relatives, du grave à l’aigu) : Sol-Ré-la-Ré (ici, en hauteurs absolues : Ré-La-Mi-La).

« Le » boğaz d’Akkulak

juillet 2003
L’air de boğaz que joue ici Akkulak était pratiquement son “hymne”, au point que dans la région cet air a désormais reçu son nom. Pour une analyse de cet air et de son rythme caractéristique “aksak”, voir : ANALYSE D’UN AKSAK

L’été 2003, Akkulak était déjà alité, et se soignait aux herbes de sa montagne. Il fit pour ses visiteurs, venus de Çameli, un de ses derniers récitals.