Printemps 2001
Hasan était, jusqu’en janvier 2007 où il s’est éteint, le dernier violoniste venu du “vieux monde”, celui de la société pastorale d’interconnaissance… Il avait fait équipe avec Hayri toute sa vie, dans les fêtes de mariage, et jouait avec raffinement et douceur : tout en lui était raffiné, presque précieux, y compris son parler, et il contrastait fortement avec son homologue Akkulak, au jeu impétueux, et à l’allure de rude montagnard…
Hasan avait eu une vie tumultueuse : plusieurs compagnes successives, — dont la première était célèbre pour sa grande beauté, et très courtisée par les jeunes gens des alentours… C’est lui qui avait pu l’enlever, avec son consentement bien sûr, mais non celui de ses parents, ce qui lui valut six mois d’emprisonnement parce qu’elle était mineure ; après quoi, il l’avait épousée, mais elle allait n’être qu’un des épisodes de sa vie sentimentale. Il aimait montrer des photos de sa jeunesse : moto, lunettes noires… Vieillard, il était un homme frêle et discret, sans doute légèrement dépressif.
Quand il jouait, Hasan avait toujours l’air triste et méditatif, et la sonorité de son violon se fondait avec douceur dans celle du bağlama de son compagnon Hayri.
Son violon est accordé (en hauteurs relatives) : Sol (grave, corde filée de saz)-La-Ré.
Hayri sort de sa poche intérieure son “gizli düdük” “flûtiau secret”, fait d’un corps de roseau à six trous, et d’une embouchure en écorce de pin (sarı çam, pinus brutia) évidée, dont l’extrémité est resserrée de façon à constituer une anche double. Ce petit hautbois se fabrique au printemps, pendant que chante le coucou, et que la sève abondante permet aisément de détacher le tube d’écorce du bois qu’il renferme. Le gizli düdük est appelé ainsi en raison de sa discrétion : “tu en joues derrière la forêt, et derrière l’autre forêt on ne l’entend pas” (voirle film « Derrière la Forêt »).