Remarque sur la prononciation de l’alphabet turc :
ç = “tch” (comme ch anglais)
c = dj
ı = ce “i sans point” transcrit un son intermédiaire entre le i et le e (comme dans l’anglais table, qu’on transcrirait en turc teybıl !).
ş = sh (comme en anglais)
ğ = généralement après une voyelle, ne se prononce pratiquement pas mais allonge la voyelle précédente, comme dans bağlama, qui se prononce ainsi baalama
ö = comme en alllemand, se prononce eu comme dans “lieu”.
ü = comme notre u, ou le ü allemand
u = ou
aksak = en langue turque, ce mot signifie “irrégulier”, “qui cloche”, “boiteux”. Le mot est utilisé dans la classification des rythmes de la musique classique ottomane pour désigner des mètres composant des unités valant trois (ou 2+1, avec “valeur ajoutée) et des unités valant deux. Ainsi dans cette classification l’aksak par excellence est le 5 temps = 2+3, et avec lui un des plus courants est le 7 temps = 2+2+3. L’aksak à “9 temps” (2+2+2+3) est souvent considéré comme le “rythme national” en Turquie. Ce terme a valeur de concept musicologique général depuis que l’ethnomusicologue Constantin Brailoiu en a fait le sujet d’un article célèbre.
alevi = mot calqué sur l’arabe ‘alawi, qu’on pourrait traduire par “ali’iste” : il s’agit en Turquie des partisans de Ali, le premier imam, gendre du Prophète Muhammad, et son cousin, premier musulman. De nos jours ce terme regroupe tous les membres de cette vaste confrérie anatolienne qui non seulement peut être rattachée au shi’isme, mais encore professe la divinité de Ali. Leur credo mêle des éléments proprement shi’ites, un héritage du passé centrasiatique des nomades turkmènes, et d’autres éléments empruntés aux religions avec lesquelles ces nomades ont été en contact au cours de leurs migrations (gnoses manichéennes, cultes du soleil, christianisme oriental, etc.).
Les dignitaires religieux, appelés dede (mot signifiant au départ “grand-père”) font remonter leur ascendance à la famille du Prophète (et aux 12 imams).
aşık = mot d’origine arabe signifiant “amoureux”, et désignant, en Turquie et dans le Caucase, les poètes troubadours itinérants, ou officiant dans des rituels de cem.
bağlama = cf. saz
Bektaşi (ou : bektashi) = groupe apparenté aux alevi, implanté dans les Balkans. Les Bektaşi et les Alevi ont en commun le saint fondateur de l’ordre, Haci Bektaş Veli, qui vécut en Anatolie au XIIIè siècle. Ils partagent également leur credo, dans son ensemble : divinisation de ‘Ali, culte des 12 imam, etc. Mais le fonctionnement des groupes, et la classe sociale, sont distincts. On s’accorde à dire que l’alevisme, rural et “tribal”, se transmet par l’hérédité, alors que le bektashisme, plutôt urbain, est ouvert à quiconque veut s’y initier. Chez les Bektaşi, les dignitaires appelés baba sont élus par la communauté.
boğaz havası : “air de gorge”, souvent abrégé en boğaz, tout simplement. Il s’agit d’une technique de chant pratiquée par les femmes du passé, essentiellement les bergères : elles chantaient, sans parole, faisant varier la hauteur par une pression du pouce sur la glotte. De nombreux airs instrumentaux de Çameli, Hisar, et des yayla pastoraux du Taurus sont des imitations de cette technique (comme Hayri, et Akkulak l’expliquent dans les séquences de Derrière la Forêt “sur la route” et “chants de gorge”.
cem (orthographié par commodité djem dans le site) : rituel de l’unité chez les Alevi et les Bektaşi. Le rituel suit un ordre constant : invocation des imams, célébration du miraç, voyage mystique du Prophète où lui a été révélé le Coran selon les sunnites, la nature divine de ‘Ali selon les alevi ; commémoration du massacre de Kerbelâ, du martyre de l’imam Hüseyin. Durant le rituel, la danse mystique du semah est dansée plusieurs fois, le moment fort étant celui où il est raconté par l’officiant (aşık, dede) que le Prophète, durant son ascension céleste, se trouve dans l’assemblée des Quarante, — personnages qui gouvernent le monde, — et, boit le jus d’un grain de raisin pressé : alors, dans l’unité de tous, “un seul a bu et tous sont ivres”, et dansent.
Le rituel de cem n’a lieu traditionnellement qu’en hiver, dans le monde rural. Il est éventuellement précédé d’un “tribunal” où sont réglés tous les différends de la communauté, arbitrés par le dede, qui réconcilie, donne des amendes, ou même exclut certains fidèles pendant un certain temps. Selon la règle, il est impossible de commencer le rituel s’il reste encore un motif de désunion chez les participants.
Rythme : il peut paraître incongru de placer un mot si chargé d’histoire dans un tel glossaire, mais ce ne sera que pour en rappeler l’étymologie : rhythme, comme on l’écrivait au XIXè siècle ou en anglais, vient du verbe grec rhéô, “couler”. C’est à tort qu’on l’a associé au flux et au reflux, à la cadence des flots, à la périodicité, quand il faudrait s’en tenir au seul flux, au courant d’un fleuve (dans lequel, comme dit Héraclite, on n’entre jamais deux fois). Le rythme c’est d’abord le fleuve du devenir, d’Héraclite à Apollinaire, et la musique, en tant que performance, renvoie au devenir, — d’autant plus quand elle est de tradition orale, non figée sur l’espace d’une écriture. Cette étymologie devra juste ici nous rappeler que le rythme a d’abord à voir avec le processus, le mouvement de la musique, et que sa composante “périodicité” n’est qu’une de ses composantes possibles. Voir la page Mètre et rythme.
saz : (du persan) nom générique moderne des luths à long manche en Turquie. Le mot saz, en persan, a le sens très large d’instrument de musique, d’accordage, d’ensemble instrumental. En Turquie contemporaine il désigne le format standard de ce luth, qui comprend par ailleurs plusieurs tailles : du plus petit au plus grand : cura, bağlama, saz, tambura, bozuk, divan sazı, meydan sazı.
semah : dérivé de l’arabe sama’ (audition, écoute), ce mot désigne à la fois l’audition mystique de la musique, et la danse qui en dérive. Selon la grande tradition du soufisme mevlevi (de mevlana, mawlana, “notre maître” nom donné à Djelal-ed-din Rûmi, XIIIè siècle), l’audition d’un son musical (et pour Rûmi, cela va du tintement des marteaux des batteurs d’or aux musiques de toute nature) éveille dans l’âme une faculté d’audition, qui est également le ressouvenir profond de la voix originelle entendue quand les âmes, encore non incarnées, volaient dans les espaces du ciel, avant la création du monde. Même si l’alevisme, qu’on peut cataloguer parmi les ordres du soufisme populaire, n’a pas autant développé ce thème du point de vue de la théologie mystique, il repose néanmoins sur cette notion d’audition et d’ivresse, manifestées dans la danse rituelle.
turkmène : dans ces pages, ce mot désigne non pas le peuple dont l’état est le Turkménistan, mais selon l’ancien sens (cf. Turcoman), les populations nomades non sédentarisées, parlant une langue turque, et circulant, irréductibles, dans les steppes, de l’Asie centrale aux Balkans. Au Moyen-Age, ces populations étaient évidemment très mal considérées par les “hautes cultures”, en particulier persane.
yörük : nom des (semi-)nomades, ou des populations d’ascendance nomade récente en Turquie contemporaine.
zeybek : danse lente à 9 temps, généralement groupés 3.2.2.2, de l’ouest et du sud anatoliens. On la trouve dans les îles grecques sous le nom de zeïbekiko (fort prisée dans le style rebetiko). Les zeybek sont aussi des personnages de “bandits d’honneur”, très prisés dans l’ouest anatolien, comme défenseurs des droits des plus humbles face aux exactions des riches propriétaires terriens ou de l’Etat, et dont certains ont donné leur nom à l’air de danse censé les évoquer.